Allô la police, Tendances
Braille Neue, la typo bien vue !
Ça paraît tout bête mais encore fallait-il y penser… Un jeune graphiste japonais de 26 ans, Kosuke Takahashi a mis au point une police de caractère qui pourrait changer en profondeur la manière dont les non ou malvoyants s’orientent dans l’espace public : Braille Neue, une typo qui mélange les caractères latins ou japonais avec le système de points en relief imaginé par Louis Braille. Futé !
En 1829, un jeune musicien de 20 ans, professeur à l’Institut Royal des Jeunes Aveugles, a l’idée d’un système qui change littéralement la vie des non-voyants : une écriture en relief qui leur offre soudain l’accès à l’écrit. Simple et efficace, son système de lecture tactile repose sur l’utilisation de points en relief – six au maximum – pour représenter les chiffres et les lettres de l’alphabet. Une idée de génie, bien plus rapide que tous les systèmes existant alors. En « lisant avec la main », les aveugles bénéficient enfin d’une écriture capable de répondre à leur handicap et le système Braille est si clair et si bien pensé qu’il ne tarde pas à se répandre dans le monde entier. Reste que bientôt 200 ans après sa naissance, l’écriture Braille a des caractéristiques qui en compliquent l’utilisation, notamment dans l’espace public. Comme il prend plus de place que l’écriture classique et qu’il s’ajoute aux textes de départ, on lui accorde une place plus que réduite sur tout ce qui relève de la signalétique, des panneaux d’informations, des cartels dans certains musées… Autrement dit, les informations accessibles aux non ou malvoyants ont rarement le même degré que celles dont bénéficient les personnes valides… Quand elles existent et ne sont pas tout simplement passées à la trappe. Le braille reste un simple ajout, pas un standard qu’un aveugle peut s’attendre à voir systématiquement figurer à côté du texte classique. Les deux écritures coexistent dans le meilleur des cas, mais ne se confondent pas.
Tout ça pourrait bien changer grâce à Kosuke Takahashi, un designer japonais qui a eu l’idée assez géniale de fondre les deux systèmes. Né au détour d’une visite à un ami malvoyant qui séjournait dans une clinique d’ophtalmologie, son principe est simple : partir du code de Louis Braille pour dessiner autour des points des caractères qui les englobent. Le dessin des lettres visibles vient ainsi se superposer aux « bosses » de l’écriture en braille. Parfait exemple de solution inclusive, la typo du jeune homme, Braille Neue, est lisible à la fois par un voyant et un non-voyant, par les yeux ou par la main. Tout en réglant au passage le problème de place qu’imposait la double écriture, explique le typographe sur son site : « le braille a tendance à être petit et invisible, mais Braille Neue lui donne la possibilité de s’étendre spatialement dans les enseignes publiques de plusieurs façons. » Hors de question bien sûr d’imaginer la Braille Neue sur les grands panneaux routiers ; mais sur tous les panneaux directionnels installés à la hauteur des citadins, la solution est idéale et permet tout un chacun de trouver le renseignement. L’idée n’est au demeurant pas neuve et d’autres designers avaient déjà imaginé des solutions comparables : Christopher Heller avec VisualBraille en 2009, Larysa Kurak avec Braille Fonts en 2014, Nuria López avec Blind Words en 2015… Mais le tour de force de Kosuke Takahashi est d’aller plus loin que ses prédécesseurs. Il a non seulement réussi à dessiner une typo en caractères latins mais en a décliné le principe pour en tirer une version adaptée à l’écriture japonaise (Braille Neue Outline). Un petit miracle de design dans la mesure où le dessin des caractères japonais s’y prête moins que l’alphabet latin… Son système, revendiqué comme un moyen de banaliser l’usage du braille dans l’espace public, pourrait bénéficier d’un véritable coup de fouet en raison de l’organisation par le Japon des prochains Jeux Olympiques, en 2020. Le flux de spectateurs qu’engendrera l’événement va nécessairement amener les autorités japonaises à mettre en place une signalétique adaptée que Takahashi espère bien voir composée en Braille Neue. Des panneaux en Braille Neue ? Ce serait un joli symbole, cohérent avec l’universalisme olympique et un clin d’œil à la vitalité des jeunes créateurs : Louis Braille avait 20 ans lorsqu’il a mis au point le système qui porte son nom, Kosuke Takahashi n’en a guère plus. Et on serait prêt à parier que le premier aurait probablement adoré l’idée du deuxième.