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Féminisation du vocabulaire : des petits pas, mais des pas
Auteure ou autrice ? Défenseure ou défenseuse ? La féminisation progressive des noms de métiers a le don de cristalliser les débats sur le « bon usage » de la langue française. Reflet de la présence des femmes dans des professions où elles étaient rares, l’évolution du vocabulaire casse les habitudes mais tend doucement à se banaliser. Le point avec Laélia Véron, agrégée de lettres modernes, docteure en langue et littérature françaises et maîtresse de conférences en stylistique à l’université d’Orléans.
C’est un processus qui se fait sur le temps long. L’idée d’une féminisation des noms de métiers a été théorisée depuis longtemps par les linguistes et validée par les politiques mais il faut toujours du temps pour que des mots nouveaux entrent dans les usages. Qu’une institution aussi frileuse que l’Académie française se soit finalement prononcée sur le sujet[1] y contribue, comme le fait que le monde médiatique s’en empare. La Coupe du monde féminine a le mérite d’amener la presse à s’interroger sur ses pratiques, comme l’a fait Libération. Là encore, cela renvoie à une question plus large sur la place des femmes dans le sport en général et dans le football en particulier.
[1] Dans un rapport de février 2019, les Immortels estiment après s’y être longtemps opposés qu’il n’existe finalement “aucun obstacle de principe à la féminisation des noms de métiers et de professions” et observent que cette féminisation relève “d’une évolution naturelle de la langue, constamment observée depuis le Moyen Âge”. Rappelons que l’Académie française n’a en tout état de cause aucune autorité en matière linguistique, contrairement à une idée reçue.
Il touche à la fois à la représentation des femmes et à notre rapport à la langue française, deux sujets déjà explosifs. Au-delà de réactions déjà très virulentes dès qu’un sujet est de près ou de loin associé au féminisme, la question se frotte au cliché d’une langue française historique qu’il s’agirait de défendre et de protéger en la figeant. C’est commode parce que cela permet de confondre féminisation et féminisme mais c’est surtout entièrement faux : il y a toujours eu des débats autour du bon usage du français et celui-ci a toujours été traversé par des enjeux politiques et sociaux.
Une première réponse tient au fait que si ces évolutions étaient si insignifiantes, elles ne provoqueraient pas de réactions aussi violentes. Ceux qui y voient des caprices ou des combats sans intérêt crient au péril mortel dès qu’on ajoute un e au mot auteur… Au-delà, personne ne prétend qu’on aura résolu le problème de l’égalité homme-femme en parlant de chercheure ou d’autrice. C’est en revanche une question de cohérence : le français est une langue romane genrée qui veut qu’on décline le métier d’une personne de sexe féminin. Sur un plan plus symbolique, se poser en tant que sujet dans la langue permet de porter des thématiques tout ce qu’il y a de concrètes sur la place des femmes. La féminisation des noms de métier n’a de sens que parce qu’elle s’inscrit dans un mouvement plus large.
Nous sommes les plus en retard, et de loin. La féminisation est beaucoup plus avancée au Québec, qu’on ne saurait pourtant accuser de ne pas vouloir défendre la langue française. En Belgique wallonne ou en Suisse romande, de nombreuses mesures de féminisation du langage ont été prises et se sont déjà traduites dans l’usage courant. Le poids médiatique de l’Académie française n’y est pas étranger.
Faire un effort en matière de représentation peut se faire à petites touches, sans s’imposer de respecter à tout prix des pratiques qui peuvent d’ailleurs largement varier en fonction du public auquel on s’adresse. Plus concrètement, il existe une série de guides très bien faits sur le sujet, comme celui qu’on peut se procurer gratuitement sur le site du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
Quand il existe une variation, ce n’est pas grave ! Avec le temps, une forme ou l’autre tend en général à s’imposer – ou pas, comme en témoigne la permanence des mots clés et clefs ou l’éternel débat entre chocolatine et pain au chocolat… Concernant les mots auteurs/autrices, le second terme est peut-être plus cohérent avec l’étymologie latine et des formes comme lectrice ou actrice mais celui qui veut utiliser le mot auteure, plus discret à l’oral, a toute latitude pour le faire. Ces variations n’empêchent absolument pas de se comprendre.
Avec Maria Candea, docteure en linguistique et enseignante à la Sorbonne Nouvelle, Laélia Véron est la co-auteure de Le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique. (La Découverte, 2018.)