Allô la police, Tendances
Helvetica, suisse et neutre
Comme il n’y pas que le Times New Roman ou le Comic Sans (argh) dans la vie, on s’est dit qu’une petite série de billets sur quelques polices incontournables ne serait pas inutile. Et à tout seigneur tout honneur, on attaque avec une grande dame de 62 ans, toujours aussi moderne et élégante qu’à ses débuts : l’Helvetica. Difficile de la louper : elle est tout bonnement partout.
Si certaines polices portent des noms dont l’origine ne saute pas aux yeux (on pense fort à toi, Tahoma), ce n’est pas franchement le cas de l’Helvetica qui doit beaucoup à la Confédération Helvétique, autrement dit à la Suisse. Pour commencer, elle y est née en 1957, au cœur d’un des plus anciens ateliers typographiques du monde, la Fonderie Haas. Mais son côté helvétique va un peu au-delà de son nom.
Objectif neutre
Lorsque ses deux concepteurs Max Miedinger et Eduard Hoffman créent l’Helvetica, la Seconde guerre mondiale n’est pas si loin et même de Suisse, le traumatisme d’une Europe déchirée est encore bien présent. Pour ses créateurs, la nouvelle police doit refléter un nouvel idéal : celui d’un monde neutre, apaisé, ordonné et clair. Une quête de l’harmonie optique en somme, capable de parler à tous et tout autour du globe, quelque chose qui serait à la typographique ce que l’esperanto est au langage.
Inspirés par le Bauhaus, les deux hommes reprennent une vieille fonte tombée en désuétude, la Grotesk, jouent sur les vides et les contre-formes et la modernisent pour se concentrer sur l’essentiel : une police d’écriture lisible, simple et élégante, capable de s’adapter à tous les usages. Moderne, efficace, neutre, bref : suisse.
Police des polices
En Europe comme de l’autre côté de l’Atlantique, l’emballement est immédiat pour cette écriture nette et épurée, lisible sur tous les supports possibles et imaginables. Plébiscité par le monde de la publicité, Helvetica prend ses aises en quelques années. À l’époque de la série « Mad Men », on la trouve partout – et quand on dit partout, c’est partout, des panneaux de signalisation routière aux étiquettes de vos vêtements (c’est la police des conseils de lavage…) en passant par le métro de New-York ou l’écharpe de Miss Univers. Un détail joue largement en sa faveur : un typographe américain la rend compatible avec la machine Linotype, encore très utilisée par les imprimeurs dans les années 60 et 70.
Quand il s’agit de dessiner leur logo, les grandes marques ne sont pas les dernières à céder aux sirènes de la police parfaite, lisible et bien proportionnée. D’Évian à American Airlines, de Lufthansa à Post-It, de Toyota à Tupperware et de American Apparel à Nestlé, l’Helvetica est partout.
Évidemment, la mode étant ce qu’elle est, cette omniprésence agace et le côté droit et rigoureux de l’Helvetica colle mal avec la tendance des 70’s à bousculer le monde bien droit et bien ordonné de la typographie de papa et maman. D’où le foisonnement d’une série de polices qui se feront une joie de jouer sur l’exact inverse, avec des formes rondes et exubérantes typiques des pochettes de disque de l’ère psychédélique…
Et ça fait tout de suite moins suisse.
Mais la Suisse résiste à tout, l’Helvetica aussi : dès les années 90, cette police intemporelle reprend du poil de la bête, privilégiée pour sa sobriété et sa facilité de lecture à l’heure du web. Son succès est tel qu’elle est une des rares polices à avoir eu droit à une exposition à sa gloire en 2007, pour ses 50 ans. Une exposition doublée… d’un film, rien que ça.
Secrets de police
N’importe quel utilisateur de Windows constate vite qu’il dispose d’un choix relativement limité de polices dans Office – et que l’Helvetica ne figure pas dans la liste des typos proposée par Word. Et pour cause : Microsoft a refusé de l’inclure dans ses logiciels, jugeant que les conditions financières qu’on lui proposait étaient inacceptables. Le hic : Helvetica est si courante qu’elle est à peu près incontournable… Pour réduire ses coûts, Microsoft a alors développé une propre police quasi-identique : Arial. La ressemblance est telle qu’on peut même s’amuser en ligne à chercher laquelle est laquelle (un indice : Helvetica est en général un rien plus « grasse »). Ah oui : le plus joli de l’histoire, c’est que jusqu’en 2012, le logo de Microsoft était composé en… Helvetica.