Tendances

Ten Years Challenge, #détournement

Si les réseaux sociaux ont une caractéristique, c’est bien leur capacité à s’emparer d’une mode ou d’un buzz pour le détourner, rebondir et lui donner une profondeur insoupçonnée. La preuve avec le Ten Years Challenge, petit hashtag sans prétention transformé en outil militant.

C’est un mot-clic (ah les Québécois…) comme Twitter ou Instagram en créent des milliers chaque jour : un mot-clé qui permet de centraliser les messages autour d’un terme bien connu pour que les internautes puissent commenter ou suivre les conversations qui y font référence. Le #IceBucketChallenge avait connu sa petite heure de gloire, #VendrediLecture est un rendez-vous qui permet à tous les amoureux des livres de se retrouver chaque fin de semaine pour échanger impressions et conseils de lecture et personne n’a oublié le #JeSuisCharlie, apparu en janvier 2015 et toujours utilisé aujourd’hui.

Le #TenYearsChallenge, apparu mi-janvier, relève de la même logique. Un repère a priori anodin autour d’une idée simple : mettre au défi ses followers sur Instagram ou sur Twitter de poster deux photos d’eux, une prise aujourd’hui et une autre vieille de dix ans. Quelque chose comme la version 2.0 de la réunion de anciens du lycée, quand tout le monde regarde qui a pris des rides ou perdu ses cheveux. Jusque-là, un petit jeu sans conséquence.

Extension du domaine du hashtag

Sauf que Twitter et Instagram étant ce qu’ils sont, à savoir inventifs, des internautes ont commencé à s’emparer du #TenYearsChallenge dans un but militant. L’idée n’est pas neuve et d’autres mots-clés ont déjà connu le même sort, comme le très xénophobe #ChacunChezSoi, initié par l’extrême-droite en juillet 2016. D’abord associé à des messages politiques du genre décomplexé (“les étrangers chez eux”, pour faire court) quand ils ne relevaient pas de la pure incitation à la haine raciale, le hashtag s’était rapidement retrouvé en tête des trending topics, ce classement constamment mis à jour des sujets les plus discutés sur la plateforme. Pour une bonne raison : un nombre considérable de Twittos s’en sont alors donné à cœur joie pour détourner la formule et se moquer de cette xénophobie bas de gamme, autour de messages comme “Les musulmans en Musulmanie !”, “Les Calvitiens en Calvitie !” ou “Les Pikachu en Picardie”.

Même cause et mêmes effets pour le Ten Years Challenge. Les défenseurs de l’environnement ont été les premiers à dégainer avec des photos frappantes, comparant par exemple deux photos d’un glacier des Alpes à 10 ans d’écart ou la taille de l’Antarctique sur des photos satellites. Le but : frapper les consciences et faire passer le message sur l’ampleur du réchauffement climatique et de ses conséquences.

 

Greenpeace a été l’une des premières ONG à détourner le hashtag.

Souvent initié par des internautes anonymes, le détournement a vite été repris par les grandes organisations environnementales, de Greenpeace au WWF, et sur toutes les plateformes, de Facebook à Snapchat. Déforestation, pollution au plastique, morts des coraux, disparition de la faune et de la flore… Les thèmes sont nombreux.

Plus frappant encore : les militants d’autres causes s’inspirent de réaction des défenseurs de l’environnement et détournent à leur tour le Ten Years Challenge pour servir leurs propres combats : droit de l’homme, pacifisme, défense du bien-être animal, droits des femmes, droits des LBBTQ+… Souvent, l’idée est inversée : cette fois, il s’agit de montrer en deux clichés qu’en dix ans, rien ou presque n’a changé. Amnesty s’en est ainsi servi pour dénoncer l’emprisonnement sans procès depuis d’opposants politiques, un peu partout dans le monde.

Si l’épisode dit une chose, c’est bien la capacité des internautes à transformer le plus anodin des petits jeux du web en levier d’influence. On peut bien sûr se moquer de ce militantisme de clavier mais reste une question : leur poids est-il si faible par rapport aux grandes campagnes de publicité et d’affichage, particulièrement onéreuses ?

Auteur


Jean-Christophe Piot

Jean-Christophe Piot

Consultant - Rédacteur partenaire