Allô la police, Tendances

Tout le monde déteste cette police (… de caractère)

Au hit-parade des polices les plus détestées de tous ceux qui s’intéressent au graphisme, à l’édition ou à la typographie, pas besoin de chercher loin : la Comic Sans MS précède de très loin d’autres polices de caractères comme la Papyrus, la Bush Script ou la Curlz. Mais pourquoi tant de haine pour la star des menus et des goûters d’anniversaire ? Snobisme déplacé ou critique justifiée ? Portrait d’une mal aimée.

Une police de 'Connare'

Non, le surtitre du dessus n’est pas une injure grossière et déplacée : il se trouve que le typographe qui a dessiné la Comic Sans MS en 1994 s’appelle Vincent Connare et qu’il ne s’agit pas tout à fait du premier venu. Aujourd’hui âgé de 59 ans, le designer a travaillé des années pour Microsoft et créé une tripotée de typos, dont la Trebuchet ou la Marlett. Et si Connare s’est mis à tracer les contours des caractères les plus détestés du monde, c’est dans un but on ne peut plus graphique. Employé de Microsoft, il travaillait sur Microsoft Bob, un programme destiné à tous ceux qui commençaient à s’intéresser aux ordinateurs – soit une bonne partie de la population, encore novice en matière d’informatique au début des années 90. Le software ciblait en particulier les plus jeunes de ces nouveaux utilisateurs, des enfants de 8 ou 10 ans, d’où le choix de faire de Bob un personnage et de le doter d’une mascotte, le chien Rover, qui s’exprimait avec des bulles de textes rédigées en… Times New Roman, la très ennuyeuse typo des journaux sérieux ou des documents officiels. Booooring, décide Connare qui propose alors à ses patrons une écriture inspirée de l’écriture manuscrite des « comics » dont il est fan – un nom que reprend sa création. Un dessin plus rond et plus ludique, à la fois rassurant et lisible, bref : adapté aux plus jeunes. Si la Comic est prête trop tard pour être intégrée à Microsoft Bob lors de sa sortie, les employés de Microsoft ne tardent pas à l’adopter dans leurs mails et petit à petit, la Comic se fait un nom en interne. Au point que Word l’intègre ensuite dans ses versions successives, ce qui la met soudain à la portée du monde entier ou presque…

Alors qu’il y a quand même des choses avec lesquelles on ne peut pas plaisanter, bon sang de bois.

Pavé de bonnes intentions

Le problème – et le triste destin de la Comic – tient à ce qu’il lui est arrivé exactement ce que Connare reprochait au Times dans Microsoft Bob : tout le monde s’est mis à faire n’importe quoi avec la Comic, mise à toutes les sauces et détournée en somme de l’usage pour laquelle elle était conçue. Volontairement enfantine, la Comic Sans s’est retrouvée dans l’album photo officiel du Pape, sur des faire-part de décès, dans des publicités pour des sex toys, sur le socle de la Coupe du Roi de football en Espagne et jusque dans les slides du CERN, lorsque ses équipes d’astronomes annoncèrent au monde entier la découverte du Boson de Higgs.

Petit à petit, se met alors un en place l’un de ces schémas dont le Web a le secret : au fil des années, la Comic crée un agacement teinté de moquerie relayé de blog en blog, puis de réseaux sociaux en réseaux sociaux. À longueur de tweets ou de statuts Facebook, les usages les plus ridicules ou les plus déplacés de la police de Vincent Connare sont moqués, parodiés, repris, détournés et élevés au rang de mème universel. Les médias s’en mêlent et en 2010, Time fait même de la Comic Sans l’une des 50 pires inventions du monde. Son œuvre, résumera un jour son créateur, devient le Justin Bieber des polices : celle qu’on aime détester.

Quelle police aimez-vous ?

Internet ayant comme chacun sait le sens de la mesure, les choses en arrivèrent au point qu’un groupe de graphistes alla jusqu’à lancer une campagne pour bannir la Comic Sans, en lui reprochant de décrédibiliser et d’infantiliser les textes les plus sérieux par son côté insouciant et léger, réservé aux devantures des magasins de jouets ou aux cartes d’anniversaire. Un mouvement dont s’amuse régulièrement Vincent Connare dans ses interviews, au sujet d’une typo qui ne lui aura pas rapporté un centime, puisqu’il était simple salarié de Microsoft lors de sa création… En creux, le débat mi-amusé, mi-agacé autour des usages ratés d’une police traduit un mouvement plutôt positif : le grand public s’intéresse à la typographie, à ses usages et à ses enjeux – une bonne nouvelle pour tous ceux qui aiment voir une belle police utilisée au bon endroit et pour le bon public. Comme celle que vous avez sous les yeux, par exemple et sans nous vanter.

Auteur


Jean-Christophe Piot

Jean-Christophe Piot

Consultant - Rédacteur partenaire