Tendances
Un petit coup de rouge ?
Toutes les couleurs sont symboliquement ambiguës mais s’il fallait identifier la plus complexe de toutes, le rouge serait probablement en tête de liste. Après le bleu et le jaune, le troisième volet de cette série d’articles haute en couleurs revient sur une couleur aussi fascinante que redoutée.
Hier
Première teinte maîtrisée par les Occidentaux qui tiraient les pigments nécessaires d’un coquillage, le rouge est ambivalent depuis toujours partagé entre ses aspects positifs et négatifs.
Côté pile, le rouge est associé depuis l’Antiquité à la gloire et à la royauté – la pourpre impériale des romains, la robe des juges et la légion d’honneur en France… Couleur du sang, chaud et éclatant, il est associé au courage et à la force. Au Moyen-Âge, il est présent dans les rituels, l’apparat et l’art chrétiens parce qu’il symbolise le sang du Christ et le feu ardent de la foi. Côté face, le même symbole chrétien se retourne. Couleur du diable et du péché, il illustre alors la colère et la violence, autant dire le débordement et la perte de contrôle. Ce n’est pas un hasard si la réforme protestante part littéralement en guerre contre cette couleur, accusée d’être vaniteuse, indécente et théâtrale – difficile de donner tort aux protestants sur ce point – le rideau rouge en témoigne encore aujourd’hui.
Sur le plan politique, le rouge divise encore, au moins depuis la Révolution française et ses bonnets phrygiens. Couleur des sentiments les plus puissants, le rouge devient idéologique, politique et au moins aussi subversif que le noir des anarchistes, lorsque les partis de gauche s’en emparent au 19e siècle. Présent sur les drapeaux de la Chine et de l’ex-URSS, il identifie aujourd’hui encore les nouveaux partis qui ont émergé à gauche de l’échiquier.
Le rouge est instinctivement associé à un autre dérèglement, celui de la sensualité et de la passion – la luxure, aux yeux de certains. Et de l’érotisme à la sexualité, il n’y a pas loin : un peu partout en Europe, le rouge a été (et reste, notamment en Hollande) la couleur de la lanterne qui signale les maisons closes, comme Sting le rappelle à une certaine Roxanne.
Reste que la puissance de la couleur est telle que le symbole peut être là encore renversé : dans le roman et la série La servante écarlate, le rouge est la marque des femmes capables d’avoir des enfants, et réduites à l’esclavage dans un monde de cauchemar où elles n’ont plus le moindre droit. Symbole de sensualité, la couleur devient celle de la contrainte.
Aujourd’hui
Chez les graphistes, le rouge est dans une situation délicate et paradoxale. Alors qu’il a le don de réveiller n’importe quelle composition graphique, il a tendance à reculer chez les annonceurs : trop agressif (aaaaah, les toreros), trop négatif (aaaah, la lanterne rouge), trop connoté (aaaah, certains syndicats), facilement associé aux urgences et au danger (aaaah, les camions de pompier…). On l’utilise davantage pour mettre en avant certains indicateurs de performance (camemberts, chiffres clés, tableau…) que comme élément de la création graphique à part entière.
Bref, le rouge ne fait plus un carton. Et c’est dommage : il a le don rare d’attirer l’œil et se repère immédiatement, d’où le fait que nous l’intégrons régulièrement dans nos propositions graphiques. Un logo rouge a toutes les chances de se distinguer (YouTube, Coca Cola, Lego, le LOSC ou France Inter en savent quelque chose). Ce n’est pas un hasard si c’est la couleur qu’on retrouve le plus sur les drapeaux des 193 pays de la planète…
Aller plus loin
Michel Pastoureau, Rouge, histoire d’une couleur, Seuil, 2016